Qu’est-ce que le gender mainstreaming ?

Le gender mainstreaming, auquel l’ensemble des pays européens souscrivent théoriquement depuis le début des années 2000, suppose une prise en compte des situations différentes des hommes et des femmes dans les contextes urbains, une évaluation attentive des impacts genrés de toutes les mesures et un effort en direction d’une égalité femmes-hommes dans les politiques publiques.

L’expression mainstreaming, qu’on rend en français par celle d’approche « intégrée », renvoie à l’idée qu’il ne suffit pas de créer des politiques sectorielles ou spécifiques destinées à prendre en compte les situations ou problèmes spécifiques des femmes (même si celles-ci peuvent naturellement être utilement mises en place, notamment concernant la question des violences de genre), mais d’examiner toutes les politiques et toutes les activités de la collectivité au prisme du genre afin de tenter de corriger les déséquilibres qu’on identifie.

Ainsi, lorsque l’article 1 de la loi française du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes qui indique que « l’État et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, mettent en œuvre une politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes selon une approche intégrée », c’est bien de gender mainstreaming qu’il s’agit. En région Île-de-France, le centre Hubertine Auclert met en ligne de nombreux matériaux utiles à la conception et la mise en œuvre de telles politiques à destination des collectivités; certaines villes pionnières en la matière comme Vienne, en Autriche, mettent également à disposition sur leur site internet de petits fascicules synthétiques et pédagogiques en anglais auxquels on peut utilement se référer.

Vers l’aménagement sensible au genre

Plusieurs des principes de l’aménagement sensible au genre, tels que présentés par exemple dans le guide édité par la ville de Vienne font désormais consensus dans les communautés d’aménageurs de la plupart des pays européens : renforcer le polycentrisme, en préservant ou en instaurant une répartition des commerces, activités ou services dans les différents quartiers ; instaurer une « ville des courtes distances » en réduisant la circulation et en maintenant la densité et la mixité des fonctions ; produire des espaces publics de qualité se prêtant à une diversité d’usages et susceptibles de répondre aux besoins différenciés des usagers ; promouvoir des moyens de transport « doux » ou « actifs »par la création de réseaux continus pour la marche, le vélo, les transports en commun; rendre les déplacements piétonniers agréables. De manière plus générale, il s’agit d’assurer la sécurité et le sentiment subjectif d’être en sûreté et d’aménager en prenant en compte les nécessités de la vie quotidienne, notamment celles des groupes « dépendants du local » (les enfants de moins de 12 ans, personnes âgées ou à mobilité réduite, personnes qui les accompagnent…) pour lesquels il faudrait aménager en priorité : il s’agit de donner plus à celles et ceux qui ont moins.

Est en outre préconisé un aménagement se basant sur les résultats de processus participatifs avec des ateliers différenciés entre hommes et femmes (une « bonne pratique » très largement adoptée à l’international) et sur un diagnostic exhaustif et soigneux des usages et des pratiques, sans omettre les « indésirables » (y compris usagers de drogue, travailleur.se.s du sexe, jeunes oisif.ve.s).

Ces approches vont à l’encontre de décennies au cours desquelles le citoyen « par défaut » était toujours l’homme valide, hétérosexuel, mobile, de classe moyenne, à l’image de l’aménageur lui-même. Lorsque celui-ci pense la différence, c’est à partir de stéréotypes et de certains impératifs moraux. Or, le « droit à la ville » ne peut être un droit sous conditions. Le gender planning est ainsi une invitation à interroger les normes implicites de l’urbanisme.

S’il n’y a donc rien de spécifiquement genré dans ces préconisations, le but est ainsi de contraindre les aménageurs à refuser des compromis qui se font souvent au détriment d’une catégorie d’usagers sans méconnaître le fait qu’il peut y avoir des contradictions, dans la pratique, entre tous ces objectifs.

Principes de base énoncés dans la plaquette Gender mainstreaming made easy de la ville de Vienne

  1. Utilisation de termes et formulations reflétant une sensibilité au genre
  2. Recueil et analyse de données sexuées
  3. Égal accès aux services
  4. Femmes et hommes impliqué.e.s à parts égales dans la prise de décision
  5. Traitement égal intégré dans les processus de gestion (y compris évaluation de l’impact des politiques)

Politiques d’égalité aux échelles internationale, européenne, nationale

À l’échelle européenne, le Conseil des Communes et Régions d’Europe propose depuis 2006 une Charte pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale, dont les signataires s’engagent à mettre en place un plan pour l’égalité dans les deux ans. Plus de 1500 collectivités européennes, dont 275 françaises, l’ont signée. La Ville de Lyon, signataire en 2012, s’est par exemple dotée de deux plans égalité successifs (2012-2014 et 2016-2019).

En France, dans la perspective de la mise en place des « contrats de ville nouvelle génération » en 2014, les municipalités devaient se doter d’un diagnostic égalité. Dans cette perspective, le CGET (Commissariat Général à l’Egalité des Territoires) a fourni des données et une base méthodologique pour permettre aux services compétents de se saisir de ces questions. L’une des préconisations était d’organiser des « marches exploratoires de femmes » pour lesquelles le CIV (Comité Interministériel des Villes) avait produit, en 2012, un manuel fortement inspiré de celui produit à Montréal dans les années 1990.

En 2010, les Nations-Unies ont débuté l’initiative « Villes sûres et libres de violence envers les femmes et les filles » en partenariat avec des organisations de femmes internationales et locales. C’est un programme qui entend fournir des outils et méthodologies pour combattre le harcèlement sexuel et la violence de genre. Lancé dans un certain nombre de villes d’Afrique, d’Inde et d’Amérique latine, il comprend une vingtaine de villes dont des métropoles du Nord.

De manière plus globale, les Nations-Unies accompagnent les municipalités dans la mise en œuvre de programmes pour produire « des villes plus sûres pour les femmes et les filles » (Safe Cities for Women and Girls). Elles dispensent également conseils et formations pour sensibiliser aux enjeux de genre dans les collectivités territoriales, à l’aide de manuels très pédagogiques.

A l’international, des organisations comme Femmes et villes favorisent la diffusion de bonnes pratiques et l’échange d’expériences entre collectivités locales.

Où en est Paris ?

En 2001, le maire Bertrand Delanoë avait décidé de valoriser symboliquement cette question en nommant Anne Hidalgo première adjointe responsable de l’égalité femme-homme. S’ensuivirent des mesures importantes en termes d’égalité professionnelle au sein des services municipaux, avec un plan d’égalité professionnelle, un travail sur les noms de métiers, des campagnes de sensibilisation. Parallèlement, un Bureau des temps fut mis en place pour mieux adapter les services publics aux rythmes des citoyen-ne-s et en 2002 fut créé l’Observatoire de l’égalité Femmes/Hommes.

En 2007, Paris devint signataire de la Charte Européenne de l’Égalité Femmes-Hommes dans la Vie Locale (promue par le Conseil Européen des Municipalités et Régions, la section européenne de United Cities and Local Governments). La Ville n’a cependant pas mis en place le « plan égalité » que tous les signataires de la Charte s’engagent à instaurer.

En 2008, est rédigé un Pré-diagnostic pour la mise en œuvre à Paris de la Charte Européenne pour l’égalité femmes-hommes dans la vie locale par Stéphanie Caradec, alors stagiaire à l’Observatoire de l’égalité entre les Femmes et les Hommes. Réalisant de nombreux constats et propositions, ce document reste, d’après notre enquête réalisée entre 2015 et 2017, quasiment ignoré. Il semble que la deuxième mandature de Bertrand Delanoë ait fait une part moins grande aux questions d’égalité femmes-hommes.

Depuis 2014, l’élection d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris et d’Hélène Bidard comme adjointe à l’égalité, une impulsion nouvelle a été donnée, avec la création de l’Observatoire Parisien des violences faites aux femmes et de la Mission Egalité Femmes-Hommes, ensuite rassemblée avec le service Lutte contre les discriminations dans le Service Egalité, Intégration, Inclusion. En 2015, Anne Hidalgo a prononcé un discours sur les orientations à donner en termes d’égalité et une charte d’engagement LGBT a été signée. Des marches exploratoires de femmes sont menées depuis 2014 et en octobre 2016, un guide Genre et espace public s’adressant aux urbanistes est publié.

L’action de la Mairie s’est focalisée sur l’enjeu de « reconquête de l’espace public », notamment par le biais d’une campagne contre le harcèlement de rue lancée en 2016.

Politique d’égalité à Berlin / Justice de genre à Barcelone – Films

La dimension comparative paraît essentielle afin d’identifier les points sur lesquels d’autres municipalités ont centré leur action dans le contexte du gender mainstreaming, et de comparer ces actions à celles que conduit la ville de Paris, nous avons procédé dans un premier temps à un recueil d’informations à distance (nombreux documents informatifs et prescriptifs mis en ligne par les municipalités européennes). Nous nous sommes ensuite rendus sur le terrain pour conduire une enquête et de rencontrer des acteurs dans deux villes comparables à Paris à beaucoup d’égards (brassage de population, fréquentation touristique,…), offrant des contrepoints intéressants : Berlin et Barcelone.

Nous avons réalisé deux reportages courts sur Berlin et Barcelone en donnant à voir l’existence de politiques d’égalité clairement visibles, dotés de services administratifs conséquents, avec des feuilles de route et des actions très visibles. Ces deux films ont pour objectif de montrer les dispositifs mis en place dans ces deux villes, reliant les acteurs militants, professionnels et politiques autour des mêmes objectifs : améliorer l’égalité de genre.

A Berlin, la politique de gender mainstreaming en tant que telle a commencé en 2002 mais s’est appuyée sur des structures déjà existantes, comme le conseil consultatif pour les questions concernant les femmes (créé en 1990). Les politiques LGBT, elles, relèvent d’un service anti-discrimination qui reste séparé. Les deux services du « Sénat » de Berlin (celui dédié aux femmes et celui dédié à l’égalité) ont été réunis en 2008, date de l’entrée en vigueur du premier « programme-cadre » ou plan pour l’égalité 2008-2011 (le 3e est en cours).

L’un des traits distinctifs de l’action conduite à Berlin, c’est un accent très fort mis non seulement sur les politiques d’égalité, mais aussi sur les actions d’aménagement de l’espace. Comme Vienne, Berlin a formalisé et diffusé ses pratiques de ce point de vue sous forme de guides de référence disponibles en ligne sur son site internet, en anglais aussi bien qu’en allemand.

Réalisation : Mina Saïdi-Sharouz / image : Anne Jarrigeon / montage : Sebastian Sebastien Chafoulais

Remerciements  : Christine Bauhardt, Christiane Droste, Sandra Huning, Gabrielle Kämper, Friedericke Faust, Kerstin Drobick, Alexia Färber

La majorité municipale arrivée au pouvoir en 2015 à Barcelone a quant à elle immédiatement créé un département Transversalitat (transversalité) dirigé conjointement par la première adjointe et le département Cycle de vie, féminisme et LGBT. Celui-ci œuvre pour la prise en compte transversale du genre dans toutes les actions municipales, et il a été cheville ouvrière de la mise en place du Plan pour la Justice de Genre (2016-2020). Il est à noter que les plans actuels s’inscrivent dans une longue tradition, constamment renouvelée, puisque le premier Plan municipal « pour les femmes » remonte à 1991.

Il existe des « conseils municipaux de femmes », organes de participation des femmes de Barcelone aux politiques municipales, à l’échelle de la ville (Consejo Municipal de Mujeres de Barcelona, créé en 1994) et des districts (Consejos de Mujeres de los Distritos).

Barcelone a considérablement élargi son action au-delà « des femmes », comme en témoigne l’intitulé même du service Féminismes et LGBT, et dispose depuis 2007 d’un Plan LGBT, élaboré en concertation avec le Conseil municipal des gais, lesbiennes et transsexuel·le·s (formé en 2004), régulièrement évalué et mis à jour.

Réalisation: Mina Saidi –Sharouz / montage et sous-titrage : Sebastien Chafoulais, 2018

Remerciements : Francesca Magrinya Torner, Blanca Ramirez, Silvia Liorente, Mikki Missé, Estel Crusellas, Sonia Ruiz, Esther Prez Sorribas, Le conseil des femmes de Sants-Monjuic, L’équipe de la bibliothèque de l’Institut des femmes Catalanes

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