Les femmes manifestent : où, pour quoi, pour qui ? – Photographies

Dans des espaces urbains historiquement construits et administrés par des hommes, où la dimension genrée des pratiques et le poids des inégalités continuent d’être minorés, de multiples collectifs résistent. Associations, lieux de culture, interventions artistiques et politiques, autant de marques d’une volonté d’agir pour une réappropration de la vie urbaine.

Dans Paris, chaque 8 mars, les femmes manifestent pour leurs droits. La journée de lutte pour les droits des femmes n’est pas la seule occasion de défiler dans les rues. L’année 2017 a vu deux événements mondiaux importants. La marche des femmes sur Washington, a été répercutée dans de nombreuses capitales mondiales. Le 21 janvier 2017, sur la place du Trocadéro, les femmes manifestaient contre l’élection de Donald Trump. À l’automne 2017, le mouvement #MeToo s’est aussi diffusé depuis les Etats-Unis : le 29 novembre 2017, #MeToo a investi la place de la République à l’appel d’un collectif contre les violences sexistes et sexuelles.

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Photographies de Sophie Blanchard 

Empreintes féministes dans l’espace urbain – Photographies

Que donnent à voir les murs de Paris de ces résistances féministes ? Marianne Muller a initié une quête de ces traces urbaines, tags, affiches, tracts, pochoirs, généralement de petit format, souvent recouverts, partiellement arrachés. Contrepoints en mode mineur de la démesure des publicités sexistes qui forment nos paysages urbains, ces multiples messages tissent les revendications d’un monde plus égalitaire.

En quête d’images dans Paris

Comment retrouver les graffitis pour les photographier ? Comment initier cette collecte d’image ? Comment les reconnaître ? Marianne Muller a d’abord sollicité ses ami-e-s Facebook dans l’objectif de savoir s’ils et elles avaient vu à Paris des affichages et graffiti féministes et où ils se situaient. Elle a jeté un coup d’œil sur les sites féministes et recherché des lieux d’affichage connus. Puis a délimité une zone à cheval sur les 11e et 12e arrondissements, conduisant des repérages et prenant des photos, carte en main, de Faidherbe jusqu’à Montgallet, à proximité de la Maison des Femmes, rue de Charenton et sur un itinéraire de manifestation, le long du boulevard Beaumarchais), en direction Nation.

Elle s’est arrêtée dans deux librairies engagées : Quilombo et Violette and Co pour échanger avec les libraires au sujet des affichages féministes, poursuivant sa quête dans les rues du 11e où elle n’était pas encore allée.

La journée du 8 mars a ouvert une piste de République jusqu’à Belleville, aux marges des circuits habituels de manifestation. Ces pistes ont été suivies par d’autres chercheuses du collectif de recherche.

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Photographies : Amandine Chapuis, Julie Chrétien, Sylvie Gagnière, Anne Jarrigeon, Marianne Muller

Ainsi soient-elles – Film

Documentaire, 30 minutes, 2015

Réalisation et images : Anne Jarrigeon
Montage : Cécile Perlès
Production : Varan

A l’occasion d’un stage, la jeune Tara découvre l’univers intellectuel et l’engagement de Christine et Catherine, les deux fondatrices de la librairie féministe Violette and Co.

De l’accrochage des expositions artistiques aux conversations chuchotées au milieux des livres, en passant par les rencontres littéraires organisées dans la mezzanine bien connue des habitué-e-s de ce lieu unique en son genre, le film, réalisé sans interview dans la lignée du «cinéma direct », interroge la transmission de la culture féministe. Il donne à voir en toile de fond comme au premier plan ces innombrables œuvres, noms et visages de femmes scandaleusement méconnus en dehors des cercles de spécialistes et de militant-e-s.

Avec la participation de Tara Baret, Christine Lemoine, Catherine Florian, Christine Planté et Michèle Perrot.


AINSI SOIENT-ELLES de Anne Jarrigeon from ateliersvaran on Vimeo.

La ville et le genre, quelles associations ?

Les inégalités de genre s’inscrivant dans les pratiques et espaces urbains, l’appropriation de ceux-ci fait partie des revendications féministes depuis les début du mouvement. Les femmes ont progressivement conquis de nombreux espaces, qu’ils soient publics, d’éducation (la première Bibliothèque municipale parisienne, ouverte en 1865, leur était par exemple interdite) ou de travail rémunéré. Depuis les années 1960, des revendications sur la manière de produire les villes sont aussi développées. Cela fut le cas de l’Union Féminine Civique et Sociale (pas proprement dite féministe) qui produisit de nombreux rapports sur des projets d’urbanisme (structures de loisirs dans les nouveaux quartiers, production de logements sociaux…) afin de faire du lobbying auprès des décideurs locaux.

Le Mouvement de Libération des Femmes des années 1970 a par la suite produit une réflexion théorique sur le rôle des espaces urbains dans la domination patriarcale. Ainsi dans le recueil de textes Les femmes s’entêtent (1975), Johanna Savé et Claude Enjeu (pseudonymes de Dominique Poggi et d’une chercheuse du CNRS) affirmaient-elles déjà dans un texte intitulé « Structures urbaines et réclusion des femmes » :

Aucun espace dans la ville n’appartient en propre aux femmes. Ni les monuments, ni les hauts lieux fonctionnels, ni les espaces où elles travaillent pour gagner leur vie ou pour accomplir des tâches ménagères. Les espaces de quartier et de voisinage ne sont qu’apparemment leurs car elles ne peuvent guère y investir une activité importante. Ils ne sont jamais que des éléments d’un ensemble où prédominent les hommes. La composition urbaine reprend une caractéristique de toutes les autres institutions : le sexisme s’y inscrit également.

Des associations se sont depuis spécialisées sur la mise en place de principes féministes dans l’aménagement urbain, notamment Maturescence puis A Places Egales avec la méthodologie des marches exploratoires de femmes, portée par Dominique Poggi et Marie-Dominique de Suremain ; ainsi que la plateforme interdisciplinaire Genre et Ville avec ses marches sensibles et ses interventions entre activisme, art et urbanisme, créée par Chris Blache et Pascale Lapalud. Plus récemment, plusieurs inititatives d’origine étudiante ont vu le jour à Paris : Womenability, qui a réalisé un tour du monde des « bonnes pratiques » pour les citadines ; FéminiCités, qui propose des formations pour les professionnel·le·s et fait une enquête sur les mobilités des personnes trans, ou encore A Nous La Nuit, pour l’aspect plus festif de l’accès aux activités nocturnes. Des associations de professionnel·le·s de l’architecture et l’urbanisme ont également émergé dans les dernières années, comme Mémo, le Mouvement pour l’Equité dans la Maîtrise d’Oeuvre. Enfin, des groupes mêlant recherche et productions urbaines ou artistiques telles que Territori’elles à Grenoble ou Les Urbain.e.s à Gennevilliers.

Où trouver la Place des Femmes ?

Une Place des Femmes a été inaugurée à Aubervilliers le 7 mars 2015 à l’occasion des célébrations de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, en présence de nombreux élus. Le conseil municipal a pris cette décision sur proposition d’un groupe de femmes actif dans la ville depuis 2011, le collectif Place aux Femmes.

L’objectif de ce collectif est d’occuper les cafés, conçus comme une extension de l’espace public, pour y mettre en évidence une mixité de genre. Place aux femmes dénonce la domination masculine de l’espace public – y compris dans la toponymie urbaine.

Des marionnettes géantes pour attirer le public vers la place des Femmes, mars 2015

Pour affirmer la place des femmes dans la ville, le collectif a demandé à la mairie d’Aubervilliers de nommer « place des Femmes » la petite place qui se trouve en face du Roi du café, où est né le collectif, dans le quartier des Quatre Chemins, au croisement de la rue Henri Barbusse, de la rue Ernest Prévost et de la rue des Postes. Une requête qui a été accueillie favorablement par les élus. L’inauguration de la place a été l’occasion, pour les femmes du collectif, d’organiser une déambulation dans la cité voisine, et pour attirer les passants, elles ont fait appel à une association de marionnettistes, Les Grandes Personnes (voir photo ci-dessus). Ici, c’est le détournement des usages habituels de l’espace public qui sert de support pour interpeler et diffuser le message de promotion de l’égalité femmes-hommes dans la ville.

Rassemblement festif sur la place des Femmes, juin 2015

La place des Femmes est depuis devenue un lieu de référence pour le collectif, un point de ralliement. Les femmes se réunissent tous les quinze jours dans un café, elles cherchent à être visibles, en s’installant par exemple en terrasse. En plus de ces rencontres bimensuelles, le collectif se mobilise le 8 mars pour la journée de lutte pour les droits des femmes et le 25 novembre pour la journée de lutte contre les violences faites aux femmes. La place des Femmes inscrit la présence des femmes dans l’espace public dans la toponymie d’Aubervilliers, comme une forme de résistance à la masculinité hégémonique d’un espace public encore majoritairement dominé par les noms d’hommes.

Ressources

Retrouvez les liens vers les sites de ces associations dans la rubrique Ressources

Présentation de l’inauguration de la Place des femmes sur le site du collectif Place aux Femmes : https://placeauxfemmes.wordpress.com/2015/03/

Blanchard, Sophie. 2017. « Street art, rénovation urbaine et gentrification dans le Nord-Est parisien: entre marketing urbain et gender mainstreaming« . Urbanités, n°9.